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Kaboul – Michael Moorcock

Denoël nous publie dans la collection Graphic un livre de Michael Moorcock, Kaboul et autres souvenirs de la troisième guerre mondiale, livre illustré par Miles Hyman. Il s’agit d’une suite de nouvelles qui ont comme trait commun un agent secret.

La couverture de ce livre m’avait frappé non pas par la combattante armée qui se trouve devant l’explosion d’une bombe atomique, mais par le style du dessinateur qui me semblait familier. Et c’est bien le cas. Pour une fois, je vais commencer par l’illustrateur plutôt que l’auteur. Le livre contient une quinzaine d’illustrations qui représentent les différentes scènes rencontrées lors de la lecture de ces nouvelles. Elles sont fidèles à l’histoire et mériteraient d’être plus nombreuses.

En fait, Miles Hyman, je l’ai retrouvé dans ma bibliothèque entre deux bandes dessinées. Il avait fait précédemment l’adaptation BD du dahlia noir, tiré du roman de James Ellroy, et adapté par Matz/David Fincher (édition Rivage, Casterman, Noir).

Miles Hyman n’est pas un inconnu. C’est en grand illustrateur qui vit entre la France et les États-Unis. Ses dessins se retrouvent dans les grands quotidiens. Ses dessins sont très réalistes et son œuvre mérite toute notre attention.

Comme le personnage principal de ce livre voyage à travers une bonne partie de la planète, les illustrations représentent souvent des lieux où la guerre sévit et elles collent parfaitement à l’ambiance que veut donner l’auteur à ses nouvelles.

Michael Moorcock, je connais très bien pour avoir lu tout son cycle sur le champion éternel (Elric, Corum, Erekosé, Hawkmoon), et pour l’avoir rencontré il y a quelques années. L’auteur est une référence en fantasy, et est aussi connu pour ses uchronies. Je pense à Le nomade du temps, Gloriana ou la reine inassouvie. Kaboul s’inscrit aussi dans une uchronie, où la troisième guerre mondiale tient lieu de fonds à cette anthologie. Il ne s’agit pas d’un roman, mais d’une suite de nouvelles qui mettent en scène Tom Dubrowski, un agent secret ukrainien qui se fait passer pour un antiquaire. Chaque nouvelle représente une étape dans la vie de ce personnage, qui se balade aux quatre coins du monde, parfois comme simple agent de renseignements, parfois comme tortionnaire ou combattant. Sa vie est parsemée de rencontres politiques, militaires, voire sentimentales.

Je pense que Michael Moorcock nous a donné depuis longtemps le meilleur de son œuvre avec son cycle du champion éternel, et que ce livre ne vient pas la renforcer, mais se détache un peu plus du tronc commun plus orienté fantasy.

Reste que Michael Moorcock est un bon auteur qui se laisse lire, dont les textes décrivent parfaitement les situations dramatiques lors d’une troisième guerre mondiale, mais aussi les craintes de chacun face au chaos qui se présente à l’ensemble de l’humanité. Tom Dubrowski n’est pas particulièrement un personnage attachant, mais le fait qu’il soit le narrateur de ce livre donne un intérêt particulier. Sa vie sentimentale est également au cœur de ce livre, ainsi que ses diverses missions. C’est un agent secret, mondain par certains côtés, et un soldat qui se retrouve au milieu d’un conflit planétaire, qui décrit les travers de notre société.

Ce que j’ai apprécié, c’est que Michael Moorcock reste vague dans le conflit qui existe entre l’occident et l’orient. Il se contente de le décrire en toile de fond, sans prendre parti pour l’un ou l’autre côté. À travers les yeux de son personnage, on voit lentement évoluer ce conflit, voire à mettre en danger Dubrowski en étant trop proche de l’explosion d’une bombe nucléaire. Le livre se termine sur un retour aux sources et des problèmes de santé, mais l’histoire reste sur une fin ouverte.

Je n’ai qu’une critique à faire aux éditeurs, c’est de n’avoir pas pensé à ordonner les nouvelles sur une ligne de temps. Par exemple Kaboul doit faire suite à Danse à Rome, et Escale au Canada n’est pas suite de cette dernière ! C’est un détail, mais il n’est nulle part fait mention de flashback dans ce livre, donc les nouvelles auraient pu être ordonnées.

Reste une lecture originale d’une troisième guerre sur une Terre fort proche de celle que nous connaissons. Ces nouvelles ne sont pas très longues et agréablement étoffées par les illustrations de Miles Hyman.

Kaboul et autres souvenirs de la troisième guerre mondiale, Michael Moorcock, 2018, 224 pages, illustrations de Miles Hyman

Kaboul - Moorcock

Hauteville House (intégrale T.1) – Duval, Gioux, Quet, Beau

Voici une BD bien représentative du style steampunk, c’est-à-dire de la science-fiction qui mélange intelligemment passé et technologie. Édité par Delcourt, et réalisée par Fred Duval, Thierry Gioux, Christophe Quet, Carole Beau, cette BD se situe au 19ème siècle, en 1864 pour être précis.

Cette intégrale reprend le premier cycle formé par les quatre premiers tomes (Zelda, Destination Tulum, Atlanta, Le streamer fantôme). Elle est sortie en même temps que le tome 10 (Jack Tupper) de la série.

Jusqu’à présent, je n’avais pas abordé le steampunk. En fait, je m’étais laissé tenter par la superbe couverture de Manchu, et en ouvrant la BD, j’ai découvert un récit en cinémascope et technicolor. Une histoire qui tient de l’aventure et de l’espionnage, sur fond de guerre de Sécession, histoire qui se situe en Europe et en Amérique. Lors de sa lecture, j’ai eu l’impression de lire un mélange entre les mystères de l’ouest, Indiana Jones, Blake et Mortimer et James Bond, dans un contexte historique qui tient tout à fait la route.

Avant de parler de la BD, un petit détour historique est nécessaire. Hauteville house, c’est le surnom d’une maison que Victor Hugo a achetée dans la rue Hauteville, sur l’ile de Guernesey en 1856. Dans la BD, cette maison est le quartier général d’une organisation qui combat Napoléon III.

Hauteville house 1

Hauteville house, c’est l’histoire d’un groupe de soldats républicains exilés sur l’ile de Guernesey qui tente de contrer les projets de conquête de l’empereur Napoléon III. Parmi eux, il y a le capitaine Gabriel-Valentin La Rochelle, plus connu sous le nom de code de Gavroche (un clin d’œil aux Misérables de Victor Hugo). Il est envoyé en mission au Mexique, sur les pas de Cortez, pour empêcher une armée française de mettre la main sur une arme d’origine inconnue. Gavroche s’allie à plusieurs reprises à Zelda, une espionne américaine qui travaille pour les nordistes, et qui a les mêmes objectifs que lui, c’est-à-dire empêcher les sudistes de gagner la guerre de Sécession et contrecarrer les plans d’invasion de Napoléon III. En parallèle à leur mission, Églantine, un autre agent de Hauteville House, joue les traductrices et recherche des informations qui permettront à Gavroche de mener à bien sa mission. Les trois personnages se retrouveront à un moment clé de l’histoire. Curieusement, chacune des quatre parties de cette bande dessinée représente un des éléments (terre, air, eau et feu).

La découverte de ce milieu de 19ème siècle est surprenante. Il existe des véhicules blindés, des dirigeables qui sont de vrais vaisseaux aériens, des sous-marins, des exosquelettes qui permettent de voler. Et toutes ces connaissances sont issues du grand chambardement, moment qui correspond à un coup de pouce de la part des extraterrestres. On est donc confronté à une civilisation qui a deux siècles d’avance sur le plan technologique, mais dont les us et coutumes sont bien ceux du 19ème siècle.

Si je dois émettre une critique, elle se fera sur les représentations des ectoplasmes extraterrestres, ou du monstre (page 184) qui ressemble plus à un grand jouet au milieu d’une bataille. Le fait qu’il y a une partie ésotérique avec une médium ne m’a pas dérangé. Au contraire, cela ajoute du danger à l’histoire.

Si vous avez aimé les mystères de l’ouest, alors vous aimerez cette. C’est admirablement bien dessiné, mis en scène et colorisé. L’aventure est au rendez-vous et le dépaysement est assuré.

Delcourt continue à rééditer ses différentes séries en intégrales. On ne peut qu’applaudir cette initiative qui permet de gagner de la place, mais aussi de proposer la BD à un prix plus abordable.

Hauteville House intégrale T. 1 à 4, Duval & Gioux & Quet & Beau, Delcourt, 2013, 200 pages, illustration de Manchu

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Nico T3 : Femmes fatales – Berthet & Duval

Au cœur d’une uchronie située dans les années 60, on retrouve Nico dans une intrigue liée à ses parents. On trouvera ma chronique des tomes 1 et 2 ici.

Cette excellente BD de science-fiction de Berthet et Duval se laisse lire très facilement. L’héroïne est toujours aussi belle, et le monde dans lequel elle évolue est à la fois très moderne et rétro. On doit à Berthet, quelques clins d’œil liés à la BD et la science-fiction. Les premières planches de cette BD sont un hommage à Edgar P. Jacobs et à la marque jaune. Les spectateurs d’une salle de cinéma regardent en version 3D l’adaptation en film de la marque jaune. Et puis, les ailes volantes toutes droites sorties du secret de l’espadon d’Edgar P. Jacobs. Plus loin dans cette aventure d’espionnage, on a droit aux sentinelles de l’URSS, qui utilisent le même Thunderbird que la série les sentinelles de l’air. Et puis, dans les savants qui entourent Arthur Rudolf, on retrouve Philip Mortimer.

Mais revenons à l’histoire. Moog invite Helen Von Braun à un déjeuner sur l’herbe au cœur de l’Arizona. La femme supposée être la mère de Nico est en fait un agent secret soviétique qu’il veut démasquer. Mais la femme retourne la situation à son avantage et s’échappe avec son propre véhicule. Pour brouiller les pistes, elle simule sa mort dans une explosion. La CIA qui est à ses trousses fait appel à Nico. Helen Von Braun a pour mission d’éliminer un ancien capitaine qui a exfiltré des savants pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle doit aussi aider Arthur Rudolf à quitter ses geôliers américains.

La BD est l’occasion de revenir sur le passé de Moog qui a aidé à libérer les savants, et qui a aussi connu le père de Nico avant de jouer le rôle de tuteur. On a donc droit à une seconde intrigue qui concerne directement Nico et qui est liée à l’intrigue principale. On découvre ainsi qu’Arthur Rudolf est un extraterrestre et que le père de Nico est un des geôliers des savants retenus depuis vingt ans dans un ancien hôtel américain. Sous celui-ci se cachent des laboratoires de recherche. Si on se doute que la soi-disant mère de Nico n’est autre qu’une femme fatale extrêmement dangereuse (un videur du bloc de l’Est), on découvre qu’Arthur Rudolf n’est pas aussi transparent qu’il en a l’air et qu’il a ses propres plans. Pour Nico, ce face à face avec Helen Von Braun va lui permettre de retrouver son père.

Une BD qui avance à du cent à l’heure, où l’on n’a pas le temps de s’ennuyer, qui se dévore une fois qu’on la commence. Une histoire bien ficelée, avec une intrigue qui se dévoile au fil des pages. Cette Terre des années soixante a décidément bien des attraits. La confrontation est-ouest est le moteur de l’intrigue principale. On se retrouve en pleine guerre froide avec des éléments futuristes qui vont attirer le lecteur. Berthet nous emmène dans des décors qui tiennent des aventures de Blake et Mortimer ou Harry Dickson.

On connaissait Berthet pour son excellente série Pinup, et Duval pour sa facilité à nous plonger dans une uchronie avec sa série Hauteville House. Ici, on découvre ce que ces deux auteurs peuvent nous concocter ce qu’il y a de meilleur à travers les aventures d’une jeune femme belle et dangereuse. Une série qui pourrait s’achever sur ce troisième tome, mais que j’espère voir continuer. Par sa qualité graphique et scénaristique, cette série plaira à tous ceux qui aiment l’espionnage, l’action et l’uchronie.

Une fois plongé dans la lecture de cette BD, je n’ai pas pu décrocher avant la fin. Et lorsque la dernière page était enfin lue, j’avais comme un manque, car il n’y a pas encore de quatrième tome. Phénomène que je n’avais pas ressenti en lisant dans la foulée les tomes 1 et 2. Femmes fatales est donc une excellente BD, qui nécessite d’avoir lu les deux tomes précédents.

Nico T3 : Femmes fatales, Berthet & Duval, Dargaud, 2012, 64 pages