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Gravity (film de Alfonso Cuarón)

Voici Sandra Bullock et George Clooney au générique d’un film qui a tout d’un huis clos spatial. On pourrait penser qu’on va s’ennuyer avec si peu de personnage. Mais rien n’est moins en vrai. En fait, plus de la moitié du film, on la passera en compagnie de Sandra Bullock.

Lors d’une sortie spatiale (EVA) pour réparer le télescope Hubble le commandant Matt Kowalski (George Clooney) et le docteur Ryan Stone (Sandra Bullock) sont victimes d’une pluie de débris. Débris dont l’origine provient d’un satellite russe détruit par un missile. Les débris entrainent une suite d’autres collisions qui crée à son tour de nouveaux débris. En somme une réaction en chaîne. C’est ce qu’on surnomme le syndrome de Kessler, envisagé en 1978 par un consultant de la NASA. Le film d’Alfonso Cuaron est entièrement basé sur ce syndrome.

Alors que la navette est endommagée et ses occupants tués, sur les trois personnes qui faisaient une sortie extra-véhiculaires, seules deux arrivent à s’en sortir. La troisième personne est tuée par un débris qui lui troue la tête.

Kowalski garde la tête sur les épaules, et grâce à son MMU peut se déplacer dans l’espace. Ce n’est pas le cas du docteur Stone qui se détache du satellite Hubble et se retrouve en train de tourner sur elle-même dans l’espace. Sandra Bullock montre parfaitement ce moment de panique qui étreint son personnage, confronté au vide spatial dans l’impossibilité de reprendre le contrôle de ses déplacements. L’espace est traitre, encore plus pour ceux qui n’ont pas d’unité de manœuvre dans le dos. Kowalski parviendra à récupérer Stone et la ramener à la navette spatiale avant de repartir avec elle vers la station spatiale internationale. Mais il va épuiser tout son carburant, et va se perdre dans l’immensité de l’espace. Oui, bon, j’ai déjà vu ça quelque part (Mission to Mars de Brian De Palma). Admettons !

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La station spatiale est déjà désertée. Le docteur Stone doit pénétrer seule dans l’ISS et utiliser le module Soyouz encore disponible. Mais les débris qui reviennent, après avoir fait une orbite de 90 minutes, vont à nouveau faire des dégâts. C’est au tour de l’ISS d’être détruite. Il ne reste plus à Stone que d’emprunter le Soyouz pour rejoindre la station spatiale chinoise. Et le cycle recommence. Je laisse deviner la fin de l’histoire.

Les images sont époustouflantes. On a vraiment l’impression d’être dans l’espace. Par moment, on voit ce que le docteur Stone voit. Et ce grand vide fait peur. Les débris spatiaux amènent le chaos et la destruction et Stone doit perpétuellement réanalyser la situation et trouver un moyen de s’en sortir.

Sandra Bullock est excellente dans ce rôle d’astronaute survivante. Le rôle de George Clooney est plus anecdotique. C’est plutôt le faire-valoir d’une actrice qui supporte entièrement le film sur ses épaules. Et Sandra Bullock assure, comme elle le fait dans tous ses films. Les deux acteurs avaient précédemment joué dans des films de science-fiction. Sandra Bullock, c’était dans Demolition man et George Clooney dans Solaris.

Des erreurs, il y en a, et pas nécessairement sur le plan technique. Par exemple, il est difficile de croire que Kowalski ne vérifie pas la réserve de carburant de son MMU et la réserve d’oxygène de sa combinaison avant de quitter la navette endommagée pour rejoindre l’ISS. On a l’impression qu’il part en piquenique en trainant derrière lui le docteur Stone au bout d’un câble. Cela manque de professionnalisme pour des astronautes censés faire preuve de sang-froid dans des moments critiques. Le MMU qu’il a sur le dos peut être rechargé en azote depuis les réservoirs de la navette spatiale. Tout le monde sait ça quand il va dans l’espace !

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Sur un plan technique, on a oublié de faire activer les visières pare-soleil. Ces visières dorées qui filtrent la lumière visible et rejettent une partie des rayons ultraviolets et infrarouges, sans quoi les astronautes seraient brulés au visage chaque fois qu’ils regarderaient en direction du soleil. Souvenez-vous de la séquence dans le film Armageddon où l’astronaute devient aveugle parce que sa visière n’avait pas été abaissée. Dans Gravity, on a oublié ce détail ! C’est étonnant, surtout lorsqu’on sait que ces combinaisons spatiales coutent entre 10 et 20 millions de dollars et qu’elles sont faites pour protéger les astronautes.

Un autre détail du film qui pose question, c’est la proximité entre la navette spatiale qui répare Hubble, l’ISS et la station chinoise (qui est l’élément encore à lancer dans l’espace). Le film donne l’impression que ces différents objets lancés par l’homme volent à proximité les uns des autres dans l’espace.

Le film d’Alfonso Cuaron a le mérite d’être très réaliste, même s’il se base sur le syndrome de Kessler. Il rappelle aux humains que l’espace est dangereux et reste un milieu hostile à toute forme de vie. Et que l’humanité doit arrêter de polluer la banlieue terrestre avec des débris appartenant à toutes les missions spatiales et satellites qu’elle envoie. Pour l’instant, cela devient une vraie décharge qui nuit au bon fonctionnement de nouveaux satellites. Il est temps de nettoyer l’espace, si nous voulons continuer à observer et étudier notre planète, et surtout si nous voulons continuer à communiquer.

Au-delà du message que délivre ce film, on a droit à des effets spéciaux tellement bien réussis qu’on se demande s’il s’agit de vraies images de la NASA ou d’images de synthèse. Un film qui vaut pour la qualité de ses images et par l’interprétation de son actrice. Une histoire simple, qui est davantage basée sur l’action et les catastrophes engendrées par les débris spatiaux. Mais une histoire admirablement bien tournée, qui tient en haleine le spectateur. A voir dans tous les cas.

Gravity, réalisé par Alfonso Cuarón, avec Sandra Bullock et George Clooney, 1h31, 2013

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La guerre secrète de l’espace : 1961 Gagarine – Hautière, Cuvelier, Pinchon

Voici le deuxième tome de ce cycle consacré à la conquête spatiale. Hautière, Cuvelier et Pinchon nous proposent l’envoi du premier homme dans l’espace en 1961, c’est-à-dire Youri Gagarine. Dans le premier tome qui se passait en 1957, on avait eu droit à la course que mènent Américains et Russes pour être les premiers dans l’espace. Ce sont les Russes qui ont été les plus rapides avec la mise en orbite du Spoutnik.

Après cette victoire sur l’occident, les Russes décident d’envoyer une chienne dans l’espace. Ce sera Laïka. Ce vol prépare l’envoi du premier homme dans l’espace.

Cette suite toujours aussi bien construite que la première partie, mélange espionnage et conquête spatiale. Les Russes sont toujours aussi suspicieux sur le personnel qui travaille à Baïkonour. Le passé de chaque membre est soigneusement passé au crible. On suit toujours un scientifique du programme soviétique, qui est en fait un agent américain infiltré.

Lors d’une soirée arrosée pour fêter le vol spatial de Youri Gagarine, les choses tournent mal pour la petite amie du scientifique. En voulant la défendre, il se retrouve dépassé par quelqu’un de plus fort que lui, qui est ivre. Et la petite amie n’a qu’une solution, tuer l’homme qui veut étrangler le scientifique. Ils n’ont plus qu’une solution : fuir ! S’engage alors un long voyage à travers l’Union soviétique, qui n’a qu’un but, les exfiltrer via un réseau mis en place par les Américains. Mais leur fuite occasionne aussi des arrestations de membres du réseau. Ce n’est que passé la frontière iranienne, qu’on découvre qui est la personne qui est responsable du démantèlement d’une partie du réseau.

Moins de technique, dans cette BD, mais plus d’espionnage. On découvre les mensonges véhiculés par l’appareil soviétique de l’époque pour cacher les accidents qui se produisent sur les sites dédiés à la conquête spatiale. C’est par exemple le cas pour le maréchal Nedeline, décédé après que le deuxième étage d’une fusée R-16 explose à Baïkonour. 92 personnes perdent directement ou indirectement la vie. Dans le cas de Nedeline, c’est sa proximité avec la fusée R-16 qui est la cause de son décès. Il supervisait les travaux à une vingtaine de mètres de la fusée, alors que l’explosion avait un diamètre de 120 mètres. Les Soviétiques ont indiqué que le maréchal était décédé dans le crash d’un avion. Ce n’est que 30 ans plus tard que la vérité a été dévoilée. En fait, on apprend que bon nombre d’échecs soviétiques ont purement et simplement été cachés au public.

Un deuxième tome qui se déroule donc en 1961, où on voit les Russes encore marquer des points par rapport aux Américains. À trois reprises, ils ont été les premiers (Spoutnik, Laïka et Gagarine). La réaction américaine se fait attendre, et ce n’est qu’à la fin de ce deuxième tome qu’on voit le président américain demander des subsides pour un projet encore plus grandiose : aller sur la Lune et revenir. On imagine très bien que les Américains se sont inspirés d’une fable de La Fontaine, le lièvre et la tortue, et que pour aller au bout de leur objectif, ils vont devoir y mettre le prix.

Comme pour le premier tome, l’album se termine par quelques pages de documentation, qui présentent les différents astronautes et cosmonautes qui ont joué un rôle à cette époque (1961-1964). C’est-à-dire Youri  Gagarine et Guerman Titov du côté soviétique, Alan Shepard et John Glen du côté américain. On a également droit à une explication sur les programmes Vostok et Mercury.

BD très bien réalisée par Hautière, Cuvelier et Pinchon. Espérons qu’il ne faudra pas encore attendre deux ans pour avoir le tome suivant. En complément à cette BD, je conseillerai de voir le film « L’étoffe des héros » qui montre le côté américain. Ou l’excellente série de docufictions sur la conquête spatiale passée sur Arte. À noter que la couverture de ce tome 2 a été réalisée par Manchu.

Le premier tome avait précédemment été chroniqué. Le lien est ici.

La guerre secrète de l’espace T.2 : 1*61 – Gagarine, Hautière, Cuvelier et Pinchon, Delcourt, 2012, Couverture de Manchu, 56 pages.

La guerre secrète de l’espace : 1957 Spoutnik – Hautière, Cuvellier, Pinchon

Hautière, Cuvellier et Pinchon nous présentent ici le premier tome d’une bande dessinée consacrée à la conquête spatiale. Si la première page nous montre Apollo 11 le 21 juillet 1969, c’est pour nous faire comprendre combien de chemin a été parcouru avant d’en arriver là. 

Les auteurs ont décidé de nous montrer les balbutiements du lanceur R7/Semiorka à Baïkonour en 1957. On suit la conception de la fusée, ses premiers échecs, ses premiers retards, mais aussi ses premiers succès avec la mise en orbite de Spoutnik et l’avantage décisif que les soviétiques ont pris dans le domaine spatial.

On pourrait s’attendre à une histoire principalement axée sur Korolev, l’ingénieur qui a conçu la fusée et qui a dirigé le programme spatiale soviétique, et à Gloushko l’ingénieur qui l’a aidé. Leur rivalité, mais aussi leur complémentarité qui a permit de créer un lanceur fiable qui aujourd’hui encore envoie des satellites et des hommes dans l’espace.

L’histoire qui se passe bien à Baïkonour, est principalement axée sur les ingénieurs et militaires qui s’y côtoient, qui se méfient les uns des autres, mais qui doivent coute que coute construire un lanceur fiable. L’ambiance pesante et délétère de la guerre froide est très bien représentée dans cette bande dessinée très bien conçue et découpée. C’est à la fois une partie de notre histoire spatiale qui y est racontée, et en même temps un thriller d’espionnage. Je ne sais pas si tous les événements qui y sont relatés correspondent à la réalité, mais en tous cas c’est captivant.

Si comme moi vous avez aimé la série de documentaires « A la conquête de l’espace » qui était passée sur Arte à plusieurs reprises, vous allez retrouver ce même engouement pour cette BD. Les auteurs ont ajouté un supplément de quatre pages qui décrit Baïkonour, le lanceur R7/Semiorka et présente aussi Korolev, l’ingénieur et artisan du programme spatial soviétique.

J’attends avec impatience la suite de cette série qui devrait contenir cinq tomes. Si j’ai une seule critique à formuler, c’est qu’il aurait été préférable de commencer l’histoire en Allemagne lors de l’élaboration des V1 et V2. Puis nous montrer qu’à la fin de la guerre, les américains et les soviétiques se sont emparés du matériel et du personnel qui a travailler à l’élaboration de ceux-ci. Et que si les deux camps en sont arrivés à envoyer des fusées dans l’espace, c’est aussi grâce à cela. C’est un détail, mais ça peut encore être expliqué dans les tomes suivants.

Donc, un excellent début de cycle avec cette guerre secrète de l’espace.

A noter que la couverture est de Manchu.

La guerre secrète de l’espace : 1957 Spoutnik, Hautière, Cuvellier et Pinchon,  Delcourt, 2010